On ne voyait que le bonheur, Grégoire Delacourt

En s’adressant à son fils Léon, Antoine, presque quadragénaire, retrace l’enfance qui l’a déglingué à jamais : son père, qui fut trop faible, sa mère, qui les abandonna, sa sœur, qui perdit la moitié d’elle-même à la mort de sa jumelle… C’est l’occasion pour lui de porter un regard critique sur son propre statut : comment pallier avec ses enfants les erreurs tant reprochées à son père ?

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Comme avec La Liste de mes envies, Grégoire Delacourt use de sommes d’argent pour présenter le propos de son roman : chaque chapitre, très court, se présente sous le prétexte d’un certain prix, que ce soit celui d’un café, d’un cadeau, d’une indemnité… Les souvenirs d’Antoine reviennent sur ce qui constitue finalement le coût d’une vie, mais l’on se rend vite compte que le plus précieux ne peut se monnayer ou se calculer : « Nous n’étions pas une famille à câlins, nous n’avions pas les gestes caressants ni les mots tendres, dodus. Chez nous, les sentiments restaient à leur place : à l’intérieur. » Lorsque le petit garçon demande à sa mère si elle l’aime, sa réponse est glaçante : « Elle m’a répondu : sans doute. Sans doute, mais à quoi ça sert ? »

C’est bien d’amour maternel dont Antoine se retrouve privé lorsque sa mère décide de quitter le foyer familial parce qu’elle pleure « la vie qu’elle n’a pas eue » et « ces vies qu’elle aurait pu connaître. » Dès lors, toute l’attention du petit garçon se tourne vers son père, qui s’avère décevant, trop mou, trop terne, incapable d’endosser son rôle et de rassurer les enfants. En racontant ces instantanés, ces souvenirs, ces clichés sur lesquels seule l’illusion du bonheur se dessine, Antoine prend conscience de sa propre faillibilité, de sa propre faillite.

« Ne sois jamais comme ton père, Antoine, sois brutal, sois fort, sers-toi, bouscule les femmes, fais-les tourbillonner, fais-les rêver, promets, même ce que tu ne pourras pas tenir, on vit toutes d’espérances, pas de réalité. »

Je ne m’attendais vraiment pas à un tel choc en entamant ce nouveau Delacourt. Arrivée à la fin de la première partie, j’ai bien failli fermer le livre et m’arrêter là. Les mots sont beaux, les mots sont durs, et ils révèlent l’atrocité du geste, aussi incompréhensible que douloureux. On est bien loin de La Liste de mes envies, ou de La Première Chose qu’on regarde, qui cataloguent parfois Delacourt parmi ces auteurs un peu faciles.
Chaque mot retentit comme un pincement au coeur, et ce qui ne peut s’expliquer n’a pas besoin de l’être, parce que la douleur prime sur la logique ou le dicible. Et je crois que je ne serai pas la seule à vouloir arrêter ma lecture en pleine route, parce que ce qu’il y a de pire m’a sauté à la gorge.

Si la deuxième partie m’a moins convaincue, mais permet de tracer une belle évolution des sentiments, je reste sûre qu’On ne voyait que le bonheur est LE roman le plus marquant de Grégoire Delacourt. Que ce titre le consacre comme un écrivain de grand talent, je le souhaite fortement.

Leiloona et Laure sont elles aussi frappées en plein coeur.

23 réflexions sur “On ne voyait que le bonheur, Grégoire Delacourt

  1. Malgré tout le bien que j’entends de ce roman, j’hésite à le lire. Sans doute parce que je n’arrive pas à m’enlever de la tête que c’est un auteur facile. Je pense que je me laisserai peut être tenter si je tombe dessus à la médiathèque comme ça je ne risque rien !

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  2. Guy dit :

    J’aime beaucoup beaucoup cet auteur alors pourquoi pas , mé combien de pages fait ce roman svp ( je sais c’est c.. mais je ne peux pas lire beaucoup plus de trois ou quatre heures soit 350 pages maxi environ ) !
    merki d’avance …

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  3. Comme j’ai bien aimé les 2 premiers romans que tu cites, je vais me laisser tenter par celui-ci. Étrangement le sujet me tentes et j’ai envie de le découvrir dans une écriture « moins facile ».

    Je suis heureuse d’avoir trouvé ton nouveau blog, je repasserai découvrir le reste une prochaine fois.

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