Adolphe, Benjamin Constant

A vingt-deux ans, suivant la volonté de son père, Adolphe entreprend un voyage en Europe avant d’embrasser une carrière. Indifférent à la société des hommes qui l’entourent, il rencontre Ellénore et s’éprend d’elle. Si elle est plus âgée, il la juge pourtant être une conquête digne de lui. Mais Ellénore, qui résiste d’abord, se jette à corps perdu dans cet amour qu’elle porte aux nues et Adolphe se sent dépassé par la force des sentiments qu’il lui inspire.

Adolphe

Il est des livres qui ont une résonance toute particulière en vous, et dont chaque mot fait vibrer une corde sensible. Adolphe est de ceux-là.

L’amour que se vouent Ellénore et Adolphe lors des premiers temps de leur relation tient de l’absolu : ils ne vivent qu’au travers l’un de l’autre, ne trouvant de repos et de consolation qu’à deux.

Enfin je vous vois, je vous vois et je respire, et je vous contemple et je m’arrête, comme le fugitif qui touche au sol protecteur qui doit le garantir de la mort.

Pourtant, cet amour qui touche au sublime est gâté par l’inégale implication de chacun : si Adolphe, las du peu de liberté qui lui reste maintenant qu’il entretient une relation officielle, essaie fort maladroitement de se détacher d’Ellénore, celle-ci s’engage envers et contre tout pour retenir un homme qu’elle finit par s’aliéner.

Nos cœurs défiants et blessés ne se rencontraient plus.

Ainsi, c’est surtout la fin de l’amour que relate Adolphe, entre derniers sursauts de tendresse et animosité quasi constante, quand l’amour qui subsiste ne suffit pas pour calmer les esprits et apaiser les douleurs.

Je reprenais quelquefois avec elle le langage de l’amour, mais ces émotions et ce langage ressemblaient à ces feuilles pâles et décolorées qui, par un reste de végétation funèbre, croissent languissamment sur les branches d’un arbre déraciné.

L’histoire des deux amants vire au tragique car Adolphe, qui ne peut trouver la force d’affronter Ellénore pour la quitter, laisse s’empoisonner une situation bientôt insupportable, ce qu’elle lui reproche.

Elle pouvait s’être trompée, elle pouvait avoir donné sa vie à un homme dur et aride ; j’étais le maître de mes actions, mais je n’étais pas le maître de la forcer à souffrir, délaissée par celui pour lequel elle avait tout immolé.

Pire encore, la souffrance qui naît et demeure irrésolue entre eux ruine toute possibilité d’amélioration, et l’on voit leur couple se déliter à mesure qu’Adolphe renonce et qu’Ellénore s’entête.

Je ne saurais peindre quelles amertumes et quelles fureurs résultèrent de nos rapports ainsi compliqués. Notre vie ne fut qu’un perpétuel orage ; l’intimité perdit tous ses charmes, et l’amour toute sa douceur ; il n’y eut plus même entre nous ces retours passagers qui semblent guérir pour quelques instants d’incurables blessures. La vérité se fit jour de toutes parts, et j’empruntai, pour me faire entendre, les expressions les plus dures et les plus impitoyables. Je ne m’arrêtais que lorsque je voyais Ellénore dans les larmes, et ses larmes mêmes n’étaient qu’une lave brûlante qui, tombant goutte à goutte sur mon cœur, m’arrachait des cris, sans pouvoir m’arracher un désaveu.

Adolphe se révèle être un tableau amer de la pitoyable lâcheté de son personnage éponyme. L’amour d’Adolphe, qu’il croit véritable, évolue en un amour-propre malsain : ce n’est plus tant Ellénore qu’il adore que l’image de lui qu’elle lui renvoie. Lorsqu’il la perd, ce n’est pas elle qu’il pleure, mais le fait de ne plus exister au monde pour personne. Toutefois, loin d’inspirer l’antipathie, le couple d’amants malheureux ne fait que rappeler les tourments de la passion amoureuse ramenée là à ses racines premières : en latin, le verbe patior, duquel vient le mot passion, signifie souffrir. Passion rime alors avec destruction.

En passant

Rencontre avec Lydie Salvayre, Goncourt 2014

Le mercredi 5 novembre dernier était décerné le prix Goncourt. Après Pierre Lemaître en 2013 pour Au Revoir là-haut, 2014 est l’année de Lydie Salvayre pour Pas Pleurer. Lydie Salvayre rejoint ainsi de grands noms de la littérature française : Romain Gary, Simone de Beauvoir, Julien Gracq, André Malraux pour ne citer qu’eux.

paspleurercouvertureSi les occasions se font rares de pouvoir se faire dédicacer La Condition humaine ou de discuter avec Simone de Beauvoir de ses Mandarins, j’ai eu la chance hier soir de rencontrer Lydie Salvayre et de passer des heures charmantes en sa compagnie !

Avant même de savoir que Lydie Salvayre ferait partie du dernier carré de la sélection du jury du Goncourt,  mes libraires chéries de L’Autre Monde l’avaient ajoutée à leur planning de rencontres et dédicaces.

Sans titre

Dès le 5 novembre, à l’annonce de l’attribution du Goncourt à Lydie Salvayre, le doute s’emparait de nous, fidèles de la première heure de L’Autre Monde : la lauréate, recherchée par toutes les émissions radiophoniques et télévisées possibles et imaginables, maintiendrait-elle sa venue à Avallon, petite ville de l’Yonne, sept mille habitants au compteur ? Le suspense était total !
Carole et Evelyne, nos deux libraires, nous ont bientôt confirmé la grande nouvelle : elles allaient bien recevoir Lydie Salvayre !

Merci à tous ceux qui ont croisé les doigts, ceux qui ont croisé les coussinets  et ceux qui ont allumé des cierges. Rendez-vous dans une semaine pour un bel évènement avec une belle romancière.

Mais la renommée du Goncourt introduisait une nouvelle problématique : comment accueillir dignement et l’auteur, et la foule de lecteurs et/ou de curieux ?
C’est finalement à la salle des Maréchaux de la mairie qu’a eu lieu hier vendredi 14 novembre la rencontre avec Lydie Salvayre.

Pour la peine, j’avais troqué mes stylos rouges et ma collection de craies et endossé mon habit de bénévole pour donner un coup de main afin de canaliser la foule en délire.

Retouchée avec Lumia Selfie

Pour l’occasion, la librairie avait fait le plein : de nombreux exemplaires de Pas Pleurer, aux éditions du Seuil, et de ses précédents romans en poche aux éditions Points étaient disponibles à la vente, en vue de la dédicace qui ouvrait la rencontre et devait aussi la clôturer.

WP_20141114_003 1 WP_20141114_005 1 WP_20141114_011La salle de la mairie se trouve vite comble, ce que sait apprécier M. le maire qui le remarque dans son discours, et se montre tout ouïe pour écouter Lydie Salvayre parler de Pas Pleurer.

10384223_1552878321622099_1083596098418244491_nAnimée par Evelyne et Yannick Petit, présentateur de l’émission littéraire Wagon-Livres sur la radio locale Radyonne, la discussion s’ouvre sur les remerciements d’Evelyne qui sait gré à Lydie Salvayre de respecter ses engagements en venant à Avallon comme cela était prévu depuis si longtemps !

On entre ensuite rapidement dans le vif du sujet : interrogée sur le titre de son roman, Lydie Salvayre explique que « pas pleurer » est une expression utilisée par la poétesse russe Marina Tsvetaïeva, qui écrit lors de son douloureux exil à Boris Pasternak pour lui confier que sa Russie lui manque, puis utilise ces mots, « pas pleurer« , pour ne pas se lamenter sur son sort. Lydie Salvayre, qui déteste en littérature le sentimentalisme larmoyant, raconte comment ces mots lui ont évoqué sa mère et font de ce titre une vraie bannière.

WP_20141114_030 1Lydie Salvayre s’attarde ensuite longuement sur l’importance de la voix de Bernanos au sein de son roman, qui accompagne celle de Montsé, sa mère, et plus précisément sur le texte terrible Les Grands Cimetières sous la lune, pamphlet contre les Nationaux et l’Eglise catholique espagnole. Les voix de Bernanos et de Montsé font donc entendre deux récits de la guerre d’Espagne dans Pas Pleurer, Montsé découvrant comment elle, qui n’a rien vécu, ne sait rien du monde, peut parler, désirer, aimer et ressentir du plaisir, tant personnel que collectif.

Dans un sourire, l’auteur ajoute qu’elle espérait secrètement faire naître chez ses lecteurs une réflexion et une méditation sur le fanatisme religieux et les partis politiques qui se décorent de l’adjectif national…

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Évoquant son écriture, Lydie Salvayre revient sur la création du fragnol, cette langue malhabile et incorrecte parlée par les émigrés espagnols et dont elle avait honte, petite, avant de trouver en vieillissant qu’elle rendait la langue française plus drôle et poétique. Ainsi, elle le demande : la langue doit-elle rester pure, close, fermée, immuable, ou s’ouvrir aux langues étrangères pour rester vivante ? Lydie Salvayre nous raconte ensuite quelques erreurs de langue amusantes qu’elle entendait dans la bouche de sa mère, créant une vraie « langue maternelle« .

A la question de savoir pourquoi ses parents ne sont pas dans le roman désignés par des termes tels que papa et maman, Lydie Salvayre avoue une ruse romanesque, qui lui permet de faire de sa mère un personnage de roman, la faisant passer de maman à Montsé. Si sa mère n’est plus de ce monde pour partager avec elle la joie d’avoir reçu le Goncourt, Lydie Salvayre, reprenant les mots d’Eric Chevillard sur son blog, explique que l’au-delà prolonge pour les non croyants l’existence des morts pour ceux qui les ont aimés. Ainsi, son livre, désormais couronné par le Goncourt, permettra-t-il à Montsé de ne jamais être oubliée…

Après les questions du public, d’abord timide, la soirée s’achève par les mots, très touchants, d’un membre de l’association icaunaise Mémoire et Histoire des Républicains espagnols, qui avait par ailleurs installé dans la salle une exposition temporaire.

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C’est en rappelant le mot d’ordre des libertaires que Lydie Salvayre termine son intervention :

A l’impossible je suis tenu, pour qu’un peu de possible advienne.

Elle se prête ensuite au jeu des signatures pendant un long moment, et prend le temps d’un mot avec chaque lecteur.

WP_20141114_037 1 WP_20141114_041 1 WP_20141114_044 1On aurait pu s’en tenir là, si Carole et Evelyne ne nous avaient proposé, à Khadie et moi, de nous joindre à elles pour dîner. Et c’est ainsi qu’un soir de novembre 2014, je me retrouve au Vaudésir, la meilleure table avallonnaise, pour dîner avec mes deux libraires chéries, Lydie Salvayre, Marie, son attachée de presse au Seuil, et Khadie.

10730768_10152788000826544_4136100015820168509_nMes aïeux, quelle soirée ! Autour de deux bouteilles d’Epineuil, d’un velouté de châtaignes et d’un bon boeuf bourguignon, la soirée se prolonge et nous permet de parler de Volodine et sa maman dijonnaise, des mérites comparés de nos assiettes, des prénoms castillans ou catalans de Pas Pleurer, et de notre belle Bourgogne.

Merci à mes douces libraires de m’avoir associée à cette soirée exceptionnelle, et au plaisir d’accrocher à nouveau mon badge L’Autre Monde ! A venir, sur le blog, la lecture commune entre Khadie et moi d’Hymne, un Salvayre visiblement très rock !

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Lucy [Luc Besson, 2014]

Après avoir été piégée par un petit ami fumeux, Lucy est forcée par un narcotrafiquant à lui servir de mule : un sachet contenant du CPH-4 de synthèse, une nouvelle drogue surpuissante, lui est implanté dans l’abdomen. Un passage à tabac violent fait s’ouvrir le sachet, et le corps de Lucy absorbe des quantités phénoménales de cette drogue, lui permettant d' »ouvrir » son cerveau à des capacités encore inexplorées pour l’espèce humaine. Lucy va chercher à se venger d’une part, mais aussi à survivre et à transmettre ses nouvelles connaissances.

LucyAprès avoir été un temps séduite par une bande-annonce alléchante, j’avais ensuite entendu trop de mauvaises critiques pour avoir envie de franchir le pas et aller voir Lucy. J’aurais mieux fait de m’en tenir là. Mais c’était sans compter un long week-end de 15 août, qui m’a guidée tout droit vers le cinéma le plus proche.

La bande-annonce qui met en avant quelques cascades et moments forts du film n’était pas mensongère : Lucy aurait pu faire un bon film d’action. La toute première partie du film, à Taïwan, m’avait convaincue : Lucy piégée par Richard, puis conduite devant le terrible mafioso, est interprétée par une Scarlett Johansson investie, que je me suis plu à suivre.
Problème : on ne s’arrête pas là. Déjà, les premiers effets du CPH-4 sur le corps de Lucy m’ont fait hausser un sourcil empli de doute. Mais. Elle se colle au plafond, soit.

Là où le bât blesse vraiment, c’est lorsqu’on sort du registre du film d’action pour basculer dans le n’importe quoi : plutôt que de « simplement » se venger du trafiquant qui cherche à récupérer son précieux bien, voilà Lucy pleine de préoccupations éthiques. Madame a des synapses et des neurones hyperactifs, et elle est bien décidée à en parler au Professeur Norman, éminent spécialiste du cerveau humain interprété par Morgan Freeman. Oui, mais elle connaît déjà tout, et notre professeur n’est que le spectateur du savoir sans borne de Lucy. Si Morgan Freeman a vraiment l’air de se demander ce qu’il fait là, rassurons-le : nous aussi.
La compréhension immédiate de son cas par Lucy, son auto diagnostic, sont bien trop faciles, tout comme le manque de surprise du professeur, convaincu par ce qui n’est impossible à aucun hacker qui se respecte. Le cerveau trop ouvert de Lucy justifie donc toutes les incohérences du scénario. Le plus ridicule dans tout ça reste encore le contrôle de son corps par Lucy, qui lui permet d’évoluer à l’infini : pitié. Je regrette d’ailleurs que le voyage ou la projection dans le temps et l’espace, qui pouvait être très intéressant, ait été l’occasion pour Besson de faire du Besson, et de rendre tout ça risible. En apothéose, une reconstitution de la création d’Adam par Michel-Ange made in Besson entre Lucy et son homonyme australopithèque. J’ai honte, je vous le dis.

État

Quand j’étais petite…

Il y a très, très longtemps, j’ai officié sur la blogosphère en tant que Neph. J’étais jeune et insouciante, évidemment. Après avoir entretenu plus ou moins régulièrement le blog Chez Neph, voilà que l’envie d’écrire à propos de mes lectures a disparu, et que ce vieux blog vivote. Que deviendra-t-il ? Nous verrons cela.

Désormais, place à L’Equilibre des Coeurs, un « blog de grande », tenu par mes soins. Neph a disparu, elle est devenue La Loreleï.

Je lis toujours, mais uniquement ce qui me fait envie. Je regarde des films. Je pars en voyage (des fois, dites. Pas souvent.). Je vais « au spectacle ». Et j’ai bien prévu de vous en parler.

Bienvenue donc, à celles et ceux qui m’auront retrouvée, suivie, découverte, lue. Allez, restez, je suis sûre qu’on va s’amuser.

(Ah oui. Un blog de grande n’empêche pas le t-shirt Petit Poney. Vous êtes prévenus.)