Eleanor & Park, Rainbow Rowell

Nouvelle élève au lycée, il n’y a pas que dans sa classe qu’Eleanor doit se faire une place. Dans le bus aussi, sa crinière rousse, ses habits rafistolés et ses rondeurs dérangent. Le premier matin,  énervé par son indécision, Park la fait asseoir à côté de lui. Il s’en fiche, de toute façon, il lit ses comics en écoutant les Smiths. Mais la nouvelle lit par dessus son épaule, et il se surprend à tourner les pages moins vite, pour la laisser faire. Un jour, il décide même de les lui prêter, et Eléanor rapporte ces comics chez elle comme un trésor. Chez elle, la vie n’est pas rose, et l’attention, bientôt l’amour que lui porte Park lui offre des horizons de liberté. Mais leur relation naissante est justement menacée par le climat dans lequel Eleanor doit vivre en permanence.

eleanor & park

Après Qui Es-Tu Alaska ?, il y a quelques jours, 2015 commence sur le blog avec une nouvelle romance adolescente. L’action, située en 1986 par l’auteur (belle année s’il en est), est absolument intemporelle et se fonde une fois de plus sur la magie d’un amour inattendu entre un garçon qui, sans être populaire, est bien intégré et plutôt bien vu dans son lycée, et une petite nouvelle, un peu boulotte et en marge des canons adolescents.

Ce que j’ai particulièrement aimé, dans Eleanor & Park, c’est la poésie que l’auteur confère à la relation de nos deux adolescents et qui décrit avec force et tendresse des émois nouveaux. Rainbow Rowell raconte chaque scène du point de vue de la jeune fille et du jeune garçon, successivement, ce qui permet une définition complète de leur histoire.

Il n’a pas levé les yeux. Il a entortillé le foulard autour de ses doigts jusqu’à soulever la main d’Eleanor.
Alors il a laissé glisser la soie et ses doigts dans la paume ouverte d’Eleanor.
Et Eleanor s’est désintégrée.

La simplicité et la pureté de leur amour se révèlent au fil des pages, et le couple naissant se soude autour d’intérêts communs.
Les deux personnages principaux ont l’immense avantage d’être aussi intéressants que curieux : en plus des comics et de la littérature, on baigne avec eux dans les mélodies des Smiths, des Who, des Beatles. L’univers que se créent Eleanor et Park devient une bulle, autour d’eux, qui les protège, d’abord le temps du trajet en bus, puis plus longtemps, à mesure que leur histoire s’officialise.

La galerie des personnages secondaires permet au roman d’explorer des champs divers : violence conjugale, immigration,  harcèlement moral, autant de champs délicats abordés finement dans l’œuvre, en plus de la difficulté pour Eleanor d’accepter son corps d’adolescente boulotte sous les yeux de Park, jusqu’à un dénouement qui, sans me satisfaire pleinement, (re)donne sourire et espoir.

Qui Es-Tu Alaska ?, John Green

Dans son lycée, Miles est un jeune garçon tranquille et, à vrai dire, sans véritables amis. Alors, quand vient le temps de rejoindre Culver Creek, le pensionnat qu’avait fréquenté son père, Miles fonde de grands espoirs sur la tournure que peut désormais prendre sans vie. Il se voit attribuer la chambre du Colonel, un garçon petit, trapu, extraverti, forte tête… tout ce que Miles n’est pas. Le Colonel le prend en main et, le surnommant le Gros, lui présente Takumi et Alaska, les deux autres membres de la bande. Alaska, aux courbes fascinantes, lunatique et mystérieuse, hypnotise Miles et lui inspire un amour dévorant. Jusqu’à l’irréparable.

9782070695799

 

Comme un grand nombre de ses lecteurs, j’imagine, je suis venue à John Green par Nos Etoiles contraires. On retrouve dans ce roman le duo garçon/fille qui se tourne autour, et qui est l’élément phare d’une majorité de romances adolescentes, mais c’est cette fois le jeune garçon qui en est le narrateur. J’avoue préférer ce point de vue, allez savoir pourquoi.

A y réfléchir, au moment d’écrire cet article, je me demande ce qui différencie ce roman des milliers d’autres sur le même sujet. Un jeune garçon timide aime une jeune fille intéressante, en couple avec un garçon plus âgé et populaire. Soit. Pourtant, là où John Green se démarque du lot, c’est en n’épargnant ni lecteurs, ni personnages : on retrouve certes les thèmes qui constituent les préoccupations adolescentes de tout temps (la drague, l’attirance, l’alcool, la désobéissance aux règles établies), mais sans facilité, ni cliché. Le regard que Miles porte sur Alaska est très beau, s’attachant à détailler avec poésie ce qu’il aime d’elle. Mais surtout, surtout, John Green catapulte ses héros dans une situation inattendue, aussi cruelle qu’irréversible, et dans laquelle il choisit de ne guère laisser de place aux adultes. En cela, il frappe étrangement fort. On y croit, parfois moins, mais les épisodes narrés sont frappés au coin du bon sens.

Miles, par ailleurs, m’a inspiré une tendresse toute particulière. J’ai aimé son goût pour les dernières paroles des gens célèbres, et sa quête d’un Grand Peut-être, comme il nomme sa recherche d’une vie plus folle, plus intense. Alaska sera le tourbillon qu’il attendait sans y croire, et envisager une vie sans elle lui parait insurmontable.

Ma peur, la voilà, j’ai perdu quelque chose d’important que je ne peux pas retrouver alors que j’en ai besoin. C’est la peur du type qui a perdu ses lunettes et à qui l’opticien annonce qu’il n’y en a plus une seule paire dans le monde entier, qu’il devra faire sans dorénavant.

La rancoeur de Miles, et la manière dont il gère et dépasse sa colère et son chagrin font de ce roman une incursion dans un monde adolescent parfois dur, souvent ingrat, mais une jolie parenthèse, toujours pleine d’espoir.