Quatre nouvelles de Philippe Jaenada, Delphine de Vigan, Serge Joncour et Anna Rozen redonnent vie à des modèles de cartes postales des Années folles, mutins et aguicheurs, dans des textes sensuels et parfois touchants.
Après une introduction expliquant l’engouement des soldats au front pendant la Première Guerre mondiale pour ces cartes représentant des femmes inaccessibles à leur désir et à leurs mains, et la prospérité du genre dans les années qui suivirent, ce joli livre des éditions Flammarion nous propose une galerie de jeunes femmes immortalisées dans les atours de leur temps, entre allure garçonne et fessée polissonne.
Si certaines ont un air plutôt sage, d’autres sont plus enjouées et s’amusent devant l’objectif du photographe. Toutes découvrent leur corps, parés de dentelle, pudiquement voilés, ou le mettent en scène à travers des jeux de miroir ou des décors Art nouveau.
Plus rarement accompagnées, elles se laissent caresser par les mains que l’on imagine fermes d’hommes en bras de chemises ou de compagnes elles aussi dénudées. Les courbes des cuisses, des seins, sont autant d’appels à un laisser-aller sensuel, et si les photographes érotisent les corps dans des poses lascives, les écrivains ici convoqués redonnent une âme à ces modèles oubliés derrière le paravent de leur féminité.
Philippe Jaenada, déjà croisé sur ce blog pour Le Cosmonaute, ouvre le recueil avec une nouvelle dans laquelle une vieille femme, pilier de bar, alcoolique impénitente, se révèle être une de ces beautés oubliées des cartes d’antan. Le souvenir de sa grâce passée est ravivé, le temps d’un instant, pour le narrateur qui la regarde, stupéfait des ravages des années sur cette jeune femme à qui le monde semblait s’offrir. J’ai aimé retrouver la simplicité de Jaenada et son analyse tranchante des gens qui traversent le monde de ses personnages.
Si le texte de Serge Joncour ne m’a guère intéressée, je suis curieuse de découvrir plus en détails les ouvrages d’Anna Rozen, qui livre ici une nouvelle sapphique et crue, dont la vigueur n’est qu’à peine freinée par l’ingénuité de la narratrice.
C’est toutefois le texte de Delphine de Vigan qui m’a le plus émue. Elle dépeint dans « A Coeur ouvert » l’expérience d’une toute jeune femme qui s’offre au regard d’un photographe de renom avant de lui offrir à son corps. Si les premiers mots de la nouvelle laissent comprendre qu’elle juge qu’il n’est pas du pouvoir d’une femme de désirer un homme, celle qu’elle devient à travers les photos est transformée par le regard porté sur elle, et ose se donner en devançant le désir de l’homme.
Pour le plaisir, les si jolis mots de Delphine de Vigan, lorsqu’elle raconte le plaisir féminin et le bouleversement du cœur.
L’ensemble forme un très joli livre, que j’aurais aimé plus riche en illustrations, mais dont les reproductions sont mises en valeur par la qualité des textes qui les accompagnent. Mes préférées, très subjectivement, pour terminer…
Un article rédigé dans le cadre du Premier Mardi, chez Stephie.