Le mercredi 5 novembre dernier était décerné le prix Goncourt. Après Pierre Lemaître en 2013 pour Au Revoir là-haut, 2014 est l’année de Lydie Salvayre pour Pas Pleurer. Lydie Salvayre rejoint ainsi de grands noms de la littérature française : Romain Gary, Simone de Beauvoir, Julien Gracq, André Malraux pour ne citer qu’eux.
Si les occasions se font rares de pouvoir se faire dédicacer La Condition humaine ou de discuter avec Simone de Beauvoir de ses Mandarins, j’ai eu la chance hier soir de rencontrer Lydie Salvayre et de passer des heures charmantes en sa compagnie !
Avant même de savoir que Lydie Salvayre ferait partie du dernier carré de la sélection du jury du Goncourt, mes libraires chéries de L’Autre Monde l’avaient ajoutée à leur planning de rencontres et dédicaces.
Dès le 5 novembre, à l’annonce de l’attribution du Goncourt à Lydie Salvayre, le doute s’emparait de nous, fidèles de la première heure de L’Autre Monde : la lauréate, recherchée par toutes les émissions radiophoniques et télévisées possibles et imaginables, maintiendrait-elle sa venue à Avallon, petite ville de l’Yonne, sept mille habitants au compteur ? Le suspense était total !
Carole et Evelyne, nos deux libraires, nous ont bientôt confirmé la grande nouvelle : elles allaient bien recevoir Lydie Salvayre !
Merci à tous ceux qui ont croisé les doigts, ceux qui ont croisé les coussinets et ceux qui ont allumé des cierges. Rendez-vous dans une semaine pour un bel évènement avec une belle romancière.
Mais la renommée du Goncourt introduisait une nouvelle problématique : comment accueillir dignement et l’auteur, et la foule de lecteurs et/ou de curieux ?
C’est finalement à la salle des Maréchaux de la mairie qu’a eu lieu hier vendredi 14 novembre la rencontre avec Lydie Salvayre.
Pour la peine, j’avais troqué mes stylos rouges et ma collection de craies et endossé mon habit de bénévole pour donner un coup de main afin de canaliser la foule en délire.
Pour l’occasion, la librairie avait fait le plein : de nombreux exemplaires de Pas Pleurer, aux éditions du Seuil, et de ses précédents romans en poche aux éditions Points étaient disponibles à la vente, en vue de la dédicace qui ouvrait la rencontre et devait aussi la clôturer.
La salle de la mairie se trouve vite comble, ce que sait apprécier M. le maire qui le remarque dans son discours, et se montre tout ouïe pour écouter Lydie Salvayre parler de Pas Pleurer.
Animée par Evelyne et Yannick Petit, présentateur de l’émission littéraire Wagon-Livres sur la radio locale Radyonne, la discussion s’ouvre sur les remerciements d’Evelyne qui sait gré à Lydie Salvayre de respecter ses engagements en venant à Avallon comme cela était prévu depuis si longtemps !
On entre ensuite rapidement dans le vif du sujet : interrogée sur le titre de son roman, Lydie Salvayre explique que « pas pleurer » est une expression utilisée par la poétesse russe Marina Tsvetaïeva, qui écrit lors de son douloureux exil à Boris Pasternak pour lui confier que sa Russie lui manque, puis utilise ces mots, « pas pleurer« , pour ne pas se lamenter sur son sort. Lydie Salvayre, qui déteste en littérature le sentimentalisme larmoyant, raconte comment ces mots lui ont évoqué sa mère et font de ce titre une vraie bannière.
Lydie Salvayre s’attarde ensuite longuement sur l’importance de la voix de Bernanos au sein de son roman, qui accompagne celle de Montsé, sa mère, et plus précisément sur le texte terrible Les Grands Cimetières sous la lune, pamphlet contre les Nationaux et l’Eglise catholique espagnole. Les voix de Bernanos et de Montsé font donc entendre deux récits de la guerre d’Espagne dans Pas Pleurer, Montsé découvrant comment elle, qui n’a rien vécu, ne sait rien du monde, peut parler, désirer, aimer et ressentir du plaisir, tant personnel que collectif.
Dans un sourire, l’auteur ajoute qu’elle espérait secrètement faire naître chez ses lecteurs une réflexion et une méditation sur le fanatisme religieux et les partis politiques qui se décorent de l’adjectif national…
Évoquant son écriture, Lydie Salvayre revient sur la création du fragnol, cette langue malhabile et incorrecte parlée par les émigrés espagnols et dont elle avait honte, petite, avant de trouver en vieillissant qu’elle rendait la langue française plus drôle et poétique. Ainsi, elle le demande : la langue doit-elle rester pure, close, fermée, immuable, ou s’ouvrir aux langues étrangères pour rester vivante ? Lydie Salvayre nous raconte ensuite quelques erreurs de langue amusantes qu’elle entendait dans la bouche de sa mère, créant une vraie « langue maternelle« .
A la question de savoir pourquoi ses parents ne sont pas dans le roman désignés par des termes tels que papa et maman, Lydie Salvayre avoue une ruse romanesque, qui lui permet de faire de sa mère un personnage de roman, la faisant passer de maman à Montsé. Si sa mère n’est plus de ce monde pour partager avec elle la joie d’avoir reçu le Goncourt, Lydie Salvayre, reprenant les mots d’Eric Chevillard sur son blog, explique que l’au-delà prolonge pour les non croyants l’existence des morts pour ceux qui les ont aimés. Ainsi, son livre, désormais couronné par le Goncourt, permettra-t-il à Montsé de ne jamais être oubliée…
Après les questions du public, d’abord timide, la soirée s’achève par les mots, très touchants, d’un membre de l’association icaunaise Mémoire et Histoire des Républicains espagnols, qui avait par ailleurs installé dans la salle une exposition temporaire.
C’est en rappelant le mot d’ordre des libertaires que Lydie Salvayre termine son intervention :
A l’impossible je suis tenu, pour qu’un peu de possible advienne.
Elle se prête ensuite au jeu des signatures pendant un long moment, et prend le temps d’un mot avec chaque lecteur.
On aurait pu s’en tenir là, si Carole et Evelyne ne nous avaient proposé, à Khadie et moi, de nous joindre à elles pour dîner. Et c’est ainsi qu’un soir de novembre 2014, je me retrouve au Vaudésir, la meilleure table avallonnaise, pour dîner avec mes deux libraires chéries, Lydie Salvayre, Marie, son attachée de presse au Seuil, et Khadie.
Mes aïeux, quelle soirée ! Autour de deux bouteilles d’Epineuil, d’un velouté de châtaignes et d’un bon boeuf bourguignon, la soirée se prolonge et nous permet de parler de Volodine et sa maman dijonnaise, des mérites comparés de nos assiettes, des prénoms castillans ou catalans de Pas Pleurer, et de notre belle Bourgogne.
Merci à mes douces libraires de m’avoir associée à cette soirée exceptionnelle, et au plaisir d’accrocher à nouveau mon badge L’Autre Monde ! A venir, sur le blog, la lecture commune entre Khadie et moi d’Hymne, un Salvayre visiblement très rock !