A vingt-deux ans, suivant la volonté de son père, Adolphe entreprend un voyage en Europe avant d’embrasser une carrière. Indifférent à la société des hommes qui l’entourent, il rencontre Ellénore et s’éprend d’elle. Si elle est plus âgée, il la juge pourtant être une conquête digne de lui. Mais Ellénore, qui résiste d’abord, se jette à corps perdu dans cet amour qu’elle porte aux nues et Adolphe se sent dépassé par la force des sentiments qu’il lui inspire.
Il est des livres qui ont une résonance toute particulière en vous, et dont chaque mot fait vibrer une corde sensible. Adolphe est de ceux-là.
L’amour que se vouent Ellénore et Adolphe lors des premiers temps de leur relation tient de l’absolu : ils ne vivent qu’au travers l’un de l’autre, ne trouvant de repos et de consolation qu’à deux.
Enfin je vous vois, je vous vois et je respire, et je vous contemple et je m’arrête, comme le fugitif qui touche au sol protecteur qui doit le garantir de la mort.
Pourtant, cet amour qui touche au sublime est gâté par l’inégale implication de chacun : si Adolphe, las du peu de liberté qui lui reste maintenant qu’il entretient une relation officielle, essaie fort maladroitement de se détacher d’Ellénore, celle-ci s’engage envers et contre tout pour retenir un homme qu’elle finit par s’aliéner.
Nos cœurs défiants et blessés ne se rencontraient plus.
Ainsi, c’est surtout la fin de l’amour que relate Adolphe, entre derniers sursauts de tendresse et animosité quasi constante, quand l’amour qui subsiste ne suffit pas pour calmer les esprits et apaiser les douleurs.
Je reprenais quelquefois avec elle le langage de l’amour, mais ces émotions et ce langage ressemblaient à ces feuilles pâles et décolorées qui, par un reste de végétation funèbre, croissent languissamment sur les branches d’un arbre déraciné.
L’histoire des deux amants vire au tragique car Adolphe, qui ne peut trouver la force d’affronter Ellénore pour la quitter, laisse s’empoisonner une situation bientôt insupportable, ce qu’elle lui reproche.
Elle pouvait s’être trompée, elle pouvait avoir donné sa vie à un homme dur et aride ; j’étais le maître de mes actions, mais je n’étais pas le maître de la forcer à souffrir, délaissée par celui pour lequel elle avait tout immolé.
Pire encore, la souffrance qui naît et demeure irrésolue entre eux ruine toute possibilité d’amélioration, et l’on voit leur couple se déliter à mesure qu’Adolphe renonce et qu’Ellénore s’entête.
Je ne saurais peindre quelles amertumes et quelles fureurs résultèrent de nos rapports ainsi compliqués. Notre vie ne fut qu’un perpétuel orage ; l’intimité perdit tous ses charmes, et l’amour toute sa douceur ; il n’y eut plus même entre nous ces retours passagers qui semblent guérir pour quelques instants d’incurables blessures. La vérité se fit jour de toutes parts, et j’empruntai, pour me faire entendre, les expressions les plus dures et les plus impitoyables. Je ne m’arrêtais que lorsque je voyais Ellénore dans les larmes, et ses larmes mêmes n’étaient qu’une lave brûlante qui, tombant goutte à goutte sur mon cœur, m’arrachait des cris, sans pouvoir m’arracher un désaveu.
Adolphe se révèle être un tableau amer de la pitoyable lâcheté de son personnage éponyme. L’amour d’Adolphe, qu’il croit véritable, évolue en un amour-propre malsain : ce n’est plus tant Ellénore qu’il adore que l’image de lui qu’elle lui renvoie. Lorsqu’il la perd, ce n’est pas elle qu’il pleure, mais le fait de ne plus exister au monde pour personne. Toutefois, loin d’inspirer l’antipathie, le couple d’amants malheureux ne fait que rappeler les tourments de la passion amoureuse ramenée là à ses racines premières : en latin, le verbe patior, duquel vient le mot passion, signifie souffrir. Passion rime alors avec destruction.