L’Envie, de Sophie Fontanel.

Parce qu’elle décide un jour de refuser de soumettre encore et toujours son corps aux caresses des hommes, la narratrice conte son combat pour l’acceptation par ses proches de cette différence, cette asexualité recherchée et défendue bec et ongles.

Les mots qui ouvrent l’ouvrage de Sophie Fontanel sonnent très justes au sujet de la difficulté, en ce début de XXIème siècle, à faire accepter l’idée que l’on ne veut plus s’obliger à des rapports charnels amoureux : « la pire insubordination de notre époque », nous dit-elle. Si toutes les mœurs, modes, tendances, peuvent s’entendre entre deux individus, du mariage à l’échangisme, la revendication d’une abstinence voulue est incomprise. Tout au long du roman, les proches cherchent à persuader la narratrice que quelque chose ne tourne pas rond, et favorisent les contacts avec des hommes dans les bras desquels ils veulent la pousser. Elle se heurte alors à une norme insoupçonnée qui lui révèle le caractère étriqué des vies de ceux qui l’entourent, malgré les apparences qu’ils se donnent.

Je découvris des convenances dans les univers les plus libérés. Des gens évolués, contre n’importe quelle forme de censure, ils se vantaient de braver les limites. Moi je les explosais dans l’autre sens, et ils levaient les bras au ciel. Ils avaient absorbé les drogues les plus touillées, les plus inutiles, s’étaient mis dans des états tels qu’ils ne s’étaient pas doutés que j’étais un témoin. Moi je m’injectais dans les veines l’idéal le plus pur et de la meilleure qualité qui soit, et je les choquais.

Le rejet de toute forme de proximité physique est expliqué en partie par la découverte, dès 13 ans, d’une sexualité décidée par les adultes et qui soumet la jeune fille, devenue jeune femme puis femme, à un désir masculin pressant et oppressant.

Je lui appris que plus un homme s’approchait, plus il devenait incontrôlable. Passé un certain cap, il parlait sans ménagement, en plus on n’osait en demander aucun.

Ainsi, en se fermant aux hommes, la narratrice se retrouve-t-elle par elle-même et pour elle-même. C’est son corps qu’elle ré-apprivoise et qui se déploie dans toute sa vitalité, au point qu’elle en devient plus belle, grandie et affirmée. Une succession de très courts chapitres court jusqu’à la fin, comme autant de témoignages recueillis : parce qu’elle est à part du grand bal de la séduction humaine, des parades nuptiales et des mensonges intéressés, Sophie attire les confessions de tous : les couples qui se déchirent, l’absence de désir pour celui qu’on aime, l’obligation de donner toujours plus à l’amant, toutes les douleurs muettes sont révélées, et la violence ressentie par celui ou celle dont le corps est nié, oublié, maltraité, méprisé, est un véritable crève-cœur.

Regrettons toutefois que ce roman, à l’écriture si poétique, n’aborde la sexualité que sous ses formes les plus malhabiles ou destructrices. Si l’on comprend la détresse d’un corps toujours brusqué, l’atmosphère devient étouffante et, en refermant ce livre, je ne rêve que de lire son extrême inverse pour me rappeler à quel point le lien entre deux corps, deux âmes, peut être beau.