Les Recettes de Nounou Ogg, de Terry Pratchett

Dans ce recueil de recettes un peu particulier, la célèbre sorcière Nounou Ogg nous livre ses secrets pour réaliser les plus fameuses spécialités culinaires (ou presque) de tout le Disque-Monde… à nos risques et périls !

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L’annonce, en mars dernier, de la mort de Terry Pratchett, m’a causé un petit coup au coeur… Depuis dix ans déjà, ses Annales du Disque-Monde me réjouissaient, et c’est avec lui que j’ai osé mettre un pied dans la fantasy, certes un peu (beaucoup) loufoque.
Si Terry Pratchett, qui se savait atteint de la maladie d’Alzheimer, avait milité dans les médias pour le droit de mourir dans la dignité, et que ses lecteurs étaient donc en quelque sorte prévenus de l’issue qui se profilait, il n’en reste pas moins que la nouvelle de sa mort a bouleversé de nombreux fans. Mon premier réflexe a été de me précipiter dans ma librairie fétiche pour acheter quelque chose de lui : j’en suis ressortie avec Les Recettes de Nounou Ogg, mais toujours aussi triste.
il aura fallu attendre novembre pour que l’amie Emma et moi fassions un sort à cet ouvrage : c’est enfin chose faite !

Le livre s’ouvre sur une dispute, par notes interposées, entre les éditeurs ayant eu les recettes entre les mains avant publication : ils s’inquiètent du fait de livrer au public des recettes dangereuses ou sujettes à interprétations pour les esprits les plus mal tournés, connaissant déjà de quoi Nounou est capable !

Vous vous souvenez de ce qui s’est passé après que nous avons imprimé Les Plaisirs de la chère ? Je n’ai plus jamais regardé les flans de la même façon. Mon épouse glousse dès qu’on parle de crème, ce qui, je vous l’assure, est assez déconcertant après trente ans de mariage.

Nounou Ogg se fend elle-même d’une préface dans laquelle, rappelant que les sorcières sont « les suppositoires de la tradition », elle explique l’intérêt de perpétuer recettes ancestrales et art de recevoir.

Si vous donnez un dîner, que dit la bienséance de faire asseoir un homme qui gagne sa vie en glissant des belettes dans son pantalon pendant les foires, et qui y est donc fort respecté, à côté de la fille d’un homme qui a autrefois dépouillé le fils puîné d’un marquis ?

Dans un manuel qui ferait pâlir d’envie Nadine de Rotschild, Nounou Ogg détaille les convenances à respecter lors d’occasions précises (fiançailles, mariage, enterrement…) et les manières les plus élégantes de déguster les mets compliqués.

Les artichauts : l’aliment amaigrissant parfait, puisque les éplucher et les manger requiert plus de calories qu’ils n’en contiennent. Arrachez chaque feuille individuellement, trempez la partie charnue dans la sauce, et raclez-la avec les dents. Reposez la partie restante en tas sur le bord de votre assiette, quoiqu’il soit permis de la jeter dans l’abat-jour. Les artichauts ont été inventés parce que les riches n’avaient pas assez de choses à faire de leur temps.

Si jamais, après avoir été prévenus maintes et maintes fois, vous envisagiez quand même, comme Emma, de réaliser l’une ou l’autre des recettes du livre, dites-vous bien que la version qui vous en est livrée a été retouchée par Nounou Ogg pour être rendue comestible ! Ouf. Voyez ce qu’elle nous dit par exemple des sablés de voyage.

La version originale est en fait la variété humaine du pain de nain, ce qui revient à dire qu’il vous maintient en vie mais vous fait regretter de ne pas être mort, et se conserve particulièrement bien parce que personne ne veut le manger. Je l’ai améliorée un peu, afin de la rendre un peu attractive aux yeux de gens qui ne sont pas naufragés sur un canot quelque part et n’ont pas déjà mangé leurs vêtements et le plus faible des survivants.

Ce livre de recettes est donc un moyen amusant de croiser les personnages emblématiques des Annales, et se révèle surtout être un moyen idéal pour ne pas dire au revoir à Terry Pratchett. Nul doute que les tomes qu’il me reste à lire trouveront leur place ici !

L’Envie, de Sophie Fontanel.

Parce qu’elle décide un jour de refuser de soumettre encore et toujours son corps aux caresses des hommes, la narratrice conte son combat pour l’acceptation par ses proches de cette différence, cette asexualité recherchée et défendue bec et ongles.

Les mots qui ouvrent l’ouvrage de Sophie Fontanel sonnent très justes au sujet de la difficulté, en ce début de XXIème siècle, à faire accepter l’idée que l’on ne veut plus s’obliger à des rapports charnels amoureux : « la pire insubordination de notre époque », nous dit-elle. Si toutes les mœurs, modes, tendances, peuvent s’entendre entre deux individus, du mariage à l’échangisme, la revendication d’une abstinence voulue est incomprise. Tout au long du roman, les proches cherchent à persuader la narratrice que quelque chose ne tourne pas rond, et favorisent les contacts avec des hommes dans les bras desquels ils veulent la pousser. Elle se heurte alors à une norme insoupçonnée qui lui révèle le caractère étriqué des vies de ceux qui l’entourent, malgré les apparences qu’ils se donnent.

Je découvris des convenances dans les univers les plus libérés. Des gens évolués, contre n’importe quelle forme de censure, ils se vantaient de braver les limites. Moi je les explosais dans l’autre sens, et ils levaient les bras au ciel. Ils avaient absorbé les drogues les plus touillées, les plus inutiles, s’étaient mis dans des états tels qu’ils ne s’étaient pas doutés que j’étais un témoin. Moi je m’injectais dans les veines l’idéal le plus pur et de la meilleure qualité qui soit, et je les choquais.

Le rejet de toute forme de proximité physique est expliqué en partie par la découverte, dès 13 ans, d’une sexualité décidée par les adultes et qui soumet la jeune fille, devenue jeune femme puis femme, à un désir masculin pressant et oppressant.

Je lui appris que plus un homme s’approchait, plus il devenait incontrôlable. Passé un certain cap, il parlait sans ménagement, en plus on n’osait en demander aucun.

Ainsi, en se fermant aux hommes, la narratrice se retrouve-t-elle par elle-même et pour elle-même. C’est son corps qu’elle ré-apprivoise et qui se déploie dans toute sa vitalité, au point qu’elle en devient plus belle, grandie et affirmée. Une succession de très courts chapitres court jusqu’à la fin, comme autant de témoignages recueillis : parce qu’elle est à part du grand bal de la séduction humaine, des parades nuptiales et des mensonges intéressés, Sophie attire les confessions de tous : les couples qui se déchirent, l’absence de désir pour celui qu’on aime, l’obligation de donner toujours plus à l’amant, toutes les douleurs muettes sont révélées, et la violence ressentie par celui ou celle dont le corps est nié, oublié, maltraité, méprisé, est un véritable crève-cœur.

Regrettons toutefois que ce roman, à l’écriture si poétique, n’aborde la sexualité que sous ses formes les plus malhabiles ou destructrices. Si l’on comprend la détresse d’un corps toujours brusqué, l’atmosphère devient étouffante et, en refermant ce livre, je ne rêve que de lire son extrême inverse pour me rappeler à quel point le lien entre deux corps, deux âmes, peut être beau.

Un Souvenir indécent, Agustina Izquierdo

Didac Cabanillas est mort depuis plusieurs années déjà lorsque Blas rencontre par hasard dans Barcelone celle qui fut sa maîtresse, Elena Berrocal. Ils se revoient à quelques reprises, assez pour qu’Elena avoue sa vérité sur les rapports qu’elle entretenait avec Didac, et que Blas confronte à ce que lui avait confié son ami avant de mourir.

L’indécence proclamée par le titre de l’ouvrage n’est pas feinte : Elena raconte qu’elle a su rendre Didac fou de désir, en exigeant de lui qu’il la fasse jouir, en usant de ses doigts, dans des lieux publics ou offerts aux yeux de tous. Elle se fait un malin plaisir d’initier Didac aux délices du langage cru, renforçant son excitation.

Il mit longtemps à s’éprendre de cette liberté que j’avais dans l’usage du langage, cette liberté de parler sans mentir. Puis il éprouva cette allégresse qui éclaire l’esprit de ne jamais se duper avec des mots. Il connut cette jubilation, d’autre part, que tout le corps ressent quand la bouche prononce lentement des expressions qui ne sont pas permises d’ordinaire, et quand on les articule posément, fermement, pour les rendre moins tolérables encore.

Pourtant, malgré les apparences, Un Souvenir indécent n’est pas un livre érotique. C’est un condensé de douleurs, qui se fracassent les unes après les autres contre les incompréhensions du pseudo-couple formé par Elena et Didac. Pas une fois elle ne se donnera à lui, pas une fois elle ne lui offrira son corps, qu’il désire tant.

Mon plus grand voyage était peut-être d’enfoncer mes joues, mon nez, mes lèvres sur ses seins si ronds et si lourds. Mais sans cesse, elle cherchait ma bouche, éloignait mon sexe de la proximité de son corps et suppliait :
« M’aimes-tu ? »

Qui est donc Elena ? Pourquoi se refuse-t-elle à Didac, qui lui témoigne pourtant son attachement, qui est présent pour elle et lui offre tant ? Les facettes que laissent apparaître le propre récit d’Elena, la confession de Didac et les souvenirs de Blas ne révèlent que trop peu de cette activiste politique, anarchiste devenue dévote mais qui ne trouve aucun secours dans son dieu.

Dieu est cruel. Son image est muette. Des mains qui sont clouées ne caressent pas.

Le plaisir féminin, qui sous-tend le récit, en est pourtant le grand absent. Paradoxalement, il semble être recherché autant que craint par Elena. On ne sait si elle le considère comme un abandon ou un aveu de faiblesse, mais son attitude fuyante sème le doute.

Le plaisir qui nous arrache la joie la plus intense est parfois une prison où nous souffrons.

C’est donc l’insatisfaction qui prime, mais Elena n’est pas claire. Blas s’en rend compte : son récit n’est pas cohérent avec l’impression de Didac.

Je n’ai jamais joui dans les bras d’un homme. Ils épongent un ruisselet. J’ai toujours rêvé de la mer.

Les mots de Didac révèlent un homme meurtri, rongé par le désespoir d’un désir jamais partagé et d’un amour qui se dit sans se traduire par les corps. Le chapitre XXVIII est un manifeste sublime sur le désir masculin.

Un Souvenir indécent est une réflexion complexe sur l’attraction des corps, plaisir et désir, mais qui, a posteriori, laisse une impression d’irrésolu et d’incompréhension sur le pourquoi du comportement d’Elena.

mardipermis

 

Une lecture réalisée
dans le cadre du premier
mardi chez Stephie !

Les Braises, Sándor Márai

Désormais âgés de 73 ans, Henri et Conrad ne se sont pas vus depuis plus de quarante ans. Eux qui furent les amis les plus proches, aussi fusionnels que peuvent l’être des jumeaux, ont été séparés par le brusque départ de Conrad pour les Colonies. Leurs retrouvailles, dont ils savent qu’elles ne dureront pas plus que le temps d’une nuit, marquent l’ultime occasion pour eux de faire éclater la vérité sur les raisons de leur éloignement mutuel.

Les BraisesC’est dans l’obscurité d’un château hongrois que se déroule l’entrevue d’Henri, son propriétaire, militaire de carrière devenu général, et de son ami Conrad. Tous deux se retrouvent dans les conditions quasi exactes qui furent celles de leur dernier dîner, presque un demi-siècle plus tôt, le général poussant l’effort jusqu’à faire reproduire le même menu au dîner.

Le château était un monde en soi, à la manière de ces grands et fastueux mausolées de pierre dans lesquels tombent en poussière des générations d’hommes et de femmes, enveloppés dans leurs linceuls de soie grise ou de toile noire. Il renfermait aussi le silence qui, tel un fidèle emprisonné à cause de sa profession de foi, dépérit sur de la paille pourrie au fond d’une cave.

Même Nini, la très vieille gouvernante, autrefois nourrice du général, est toujours là, et veille dans l’ombre à ce que le décorum soit parfait. J’ai regretté que son personnage ne soit pas davantage exploité, alors que l’auteur la présente de manière si fine.

Elle n’avait alors que seize ans et était fort belle : de petite taille, mais robuste, d’un calme et d’une assurance intérieurs, comme si son corps connaissait un secret, comme si en ses os, en sa chair et en son sang, elle recelait l’énigme du temps et de la vie, un secret indicible, incommunicable.

Les femmes, dans ce roman, sont au nombre de trois : outre Nini, on y rencontre la mère du général, une Française expatriée par amour et qui regrettera toujours son pays, et Christine, l’épouse du général, morte huit ans après le départ de Conrad. Les deux amis, pourtant, avaient décidé au sortir de l’enfance qu’aucune femme, jamais, ne pourrait briser le lien si fort de leur amitié.

Ces femmes avaient apporté dans leurs vies les premières ébauches des rêves d’amour et tout ce dont l’amour se compose : le désir, la jalousie et la solitude qui consume. Pourtant, au-delà des femmes et du monde, s’était affirmé en eux un sentiment plus fort que tous les autres. Seuls les hommes connaissent ce sentiment. Il se nomme amitié.

Toutefois, ce lien si étroit entre eux est mis à mal par une différence de nature : l’un est un aristocrate désargenté et musicien, l’autre porte son destin de militaire dans son sang. Leur tempérament les éloigne comme une fatalité, tout comme leur rapport au monde. Et si une apparente concorde subsiste, leur différence grandit et s’affirme, jusqu’à la trahison.

On aurait dit que Conrad était un magicien qui, installé dans son fauteuil, se creusait la tête pour trouver la raison d’être de l’humanité et le sens de la vie pendant que son apprenti courait le monde pour observer et lui rapporter les secrets de l’existence humaine.

Ce qui est frappant, dans la relation qu’entretiennent Henri et Conrad, c’est l’absolue certitude avec laquelle ils ont vécu pendant toutes ces années : jamais ils n’ont douté du fait qu’ils se reverraient au moins une fois avant leur mort pour régler le sujet qui les hante depuis tant de décennies.
Le souvenir de Christine, qui a partagé leur vie quelques années avant de mourir, encore fort jeune, revit avec eux à travers les souvenirs intimes évoqués par Henri, qui confie enfin ses doutes et ses erreurs.

Comme je le disais, j’ai compris bien plus tard seulement que les personnes tenant tellement à la sincérité absolue sont celles qui tremblent d’avoir un jour leur vie réellement remplie de secrets inavouables.

Les quarante années de séparation ont été l’occasion pour Henri de porter un regard peu amène sur ses propres manquements : en reconnaissant ses fautes, il apparaît sous des traits extrêmement durs et démontre le prix auquel il estime l’honneur et l’orgueil des hommes. C’est d’ailleurs justement par respect pour ces deux valeurs qu’il porte aux nues qu’il ne demande pas de comptes à Conrad, ni ne réclame d’excuses. Il a besoin que celui-ci l’écoute, car il a compris, dans ces années de solitude, l’une des raisons principales du départ de Conrad : leur discussion est un moyen pour lui d’exposer le fruit de son raisonnement et de retrouver, un temps, le plaisir du débat avec Conrad. Ainsi, leur histoire personnelle est un moyen de disserter sur l’amour et la passion.

Lorsque, par hasard, deux êtres qui ne sont pas de nature différente se rencontrent, quelle félicité ! C’est le plus beau cadeau du sort. Malheureusement, les rencontres de ce genre sont extrêmement rares et il semble, de toute évidence, que la nature se soit opposée à l’harmonie par la ruse et la violence, sans doute parce que, pour recréer le monde et rénover la vie, il lui est indispensable que subsiste cette tension entre les humains, harcelés par des tendances contradictoires et des rythmes dissemblables, mais qui néanmoins cherchent à s’unir coûte que coûte.

Sommes-nous ridicules si nous pensons, l’un comme l’autre, que, malgré tout, la passion s’adresse à une seule personne… éternellement à quelque énigmatique personne, bien définie, qui peut etre bonne ou mauvaise, indifféremment, puisque l’intensité de notre passion ne dépend aucunement de ses actes ni de ses pensées ?

Sándor Márai signe avec Les Braises un roman d’une beauté saisissante, d’autant plus fort qu’il n’accepte aucune concession ni demi-mesure. La figure du général, qui domine toute l’oeuvre comme un ogre de conte de fées, fascine autant qu’elle nous frappe, et l’on sera douloureusement ému de comprendre à quels sacrifices son orgueil démesuré et le destin auquel il a obéi toute sa vie l’ont amené.

Voilà déjà, je le pressens, une lecture qui figurera au panthéon de 2015.

Sous Le Manteau : cartes postales érotiques des Années folles

Quatre nouvelles de Philippe Jaenada, Delphine de Vigan, Serge Joncour et Anna Rozen redonnent vie à des modèles de cartes postales des Années folles, mutins et aguicheurs, dans des textes sensuels et parfois touchants.

Sous Le Manteau
Après une introduction expliquant l’engouement des soldats au front pendant la Première Guerre mondiale pour ces cartes représentant des femmes inaccessibles à leur désir et à leurs mains, et la prospérité du genre dans les années qui suivirent, ce joli livre des éditions Flammarion nous propose une galerie de jeunes femmes immortalisées dans les atours de leur temps, entre allure garçonne et fessée polissonne.

WP_20150201_003 WP_20150201_004 WP_20150201_009Si certaines ont un air plutôt sage, d’autres sont plus enjouées et s’amusent devant l’objectif du photographe. Toutes découvrent leur corps, parés de dentelle, pudiquement voilés, ou le mettent en scène à travers des jeux de miroir ou des décors Art nouveau.

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Plus rarement accompagnées, elles se laissent caresser par les mains que l’on imagine fermes d’hommes en bras de chemises ou de compagnes elles aussi dénudées. Les courbes des cuisses, des seins, sont autant d’appels à un laisser-aller sensuel, et si les photographes érotisent les corps dans des poses lascives, les écrivains ici convoqués redonnent une âme à ces modèles oubliés derrière le paravent de leur féminité.

Philippe Jaenada, déjà croisé sur ce blog pour Le Cosmonaute, ouvre le recueil avec une nouvelle dans laquelle une vieille femme, pilier de bar, alcoolique impénitente, se révèle être une de ces beautés oubliées des cartes d’antan. Le souvenir de sa grâce passée est ravivé, le temps d’un instant, pour le narrateur qui la regarde, stupéfait des ravages des années sur cette jeune femme à qui le monde semblait s’offrir. J’ai aimé retrouver la simplicité de Jaenada et son analyse tranchante des gens qui traversent le monde de ses personnages.

Si le texte de Serge Joncour ne m’a guère intéressée, je suis curieuse de découvrir plus en détails les ouvrages d’Anna Rozen, qui livre ici une nouvelle sapphique et crue, dont la vigueur n’est qu’à peine freinée par l’ingénuité de la narratrice.

C’est toutefois le texte de Delphine de Vigan qui m’a le plus émue. Elle dépeint dans « A Coeur ouvert » l’expérience d’une toute jeune femme qui s’offre au regard d’un photographe de renom avant de lui offrir à son corps. Si les premiers mots de la nouvelle laissent comprendre qu’elle juge qu’il n’est pas du pouvoir d’une femme de désirer un homme, celle qu’elle devient à travers les photos est transformée par le regard porté sur elle, et ose se donner en devançant le désir de l’homme.

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Pour le plaisir, les si jolis mots de Delphine de Vigan, lorsqu’elle raconte le plaisir féminin et le bouleversement du cœur.

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L’ensemble forme un très joli livre, que j’aurais aimé plus riche en illustrations, mais dont les reproductions sont mises en valeur par la qualité des textes qui les accompagnent. Mes préférées, très subjectivement, pour terminer…

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Un article rédigé dans le cadre du Premier Mardi, chez Stephie.

mardipermis

 

Meurtres pour rédemption, Karine Giebel

Détenue condamnée à perpétuité pour un triple meurtre, Marianne est un souffre-douleur pour l’ensemble du milieu carcéral : « née pour tuer », elle est la cible à abattre pour ses compagnes de détention, mais aussi pour certains matons, puisqu’elle a abattu deux flics. Bercée par les passages répétés du train sous sa fenêtre, la jeune femme s’évade en pensée, aidée par des fixes d’héroïne dont elle s’offre le luxe grâce à Daniel, un gardien aux yeux verts qui lui fait bientôt chavirer le coeur. Mais l’irruption au parloir de trois flics qui lui proposent la liberté bouleverse son quotidien plus que prévisible et lui offre une perspective inopinée d’avenir… dont le prix ne pourra être autre que celui du sang.

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Les policiers de Karine Giébel ont toujours été l’assurance de romans efficaces, percutants, sans temps morts ni bons sentiments qui viendraient gâcher mon goût pour l’action. Avec Meurtres pour rédemption, j’ai été servie.
Depuis les mauvais traitements par certains gardiens assoiffés d’une justice à leur sauce, aux passages à tabac et mises à mort dans les douches et les promenades, en passant par les privations, les manques et le non-respect de la personne humaine, l’auteur campe le décor de son roman dans une prison aux matons sans foi ni loi. On se prend à craindre le moindre déplacement de Marianne dans la prison, parce que le danger guette.

Marianne, au prénom qui résonne avec ironie de ses accents de liberté entre les murs de la prison, est un être d’excès. Elle aime comme elle tue, par rage, sans calcul ni préméditation, en s’abandonnant quels que soient les risques. N’ayant rien à perdre, elle se donne à Daniel pour le prix de quelques paquets de cigarettes : elle n’estime pas plus cher le prix de son corps.
Mais Daniel, qui pensait détenir les règles du jeu comme la clé des menottes, perd vite pied.

Ils se jetaient ensemble dans le vide, dans un brasier qui allait les consumer.
Vertige garanti. Lui comprit qu’il n’en sortirait pas indemne. Il y aurait un prix à payer. Faire l’amour à cette fille, c’était presque commettre un crime. Mais il se noyait dans son regard d’ombre, s’abîmait dans ce corps sublime, se disloquait sur ses flots déchaînés.

Tous deux se perdent dans un amour déraisonnable autant qu’imprudent.

Ils finirent par terre. Le lit n’était pas assez grand. La cellule non plus. La prison elle-même n’était pas assez vaste pour accueillir leur étreinte. Même le monde était trop étroit pour les contenir, les comprendre.

Mais un tel amour suscite des jalousies dès lors qu’il ne passe plus inaperçu, jusqu’à ce que la passion instille des sentiments très laids dans l’esprit d’une gardienne jalouse.

Elle n’aurait pas son amour, pas même son désir. Elle aurait au moins le lot de consolation. La vengeance.
Elle pleurait toujours. Le coeur flétri de hargne, le corps enflé d’une tristesse sans nom. La peau moite de jalousie. Cette jalousie qu’elle connaissait si bien. Jalouser, envier. Seconde nature. Ca la rongeait depuis toujours. Comme une lèpre chopée à la naissance.

Ce qui fait encore plus froid dans le dos, ce ne sont pas tant les épreuves dignes d’une jungle, ou la vengeance dévastatrice d’une rivale amoureuse, que les mystérieuses arcanes du pouvoir aux mains des ministres et des hauts fonctionnaires, dont les passe-droit évoqués dans les 989 pages de Meurtres pour rédemption laissent entrevoir un univers d’intouchables et qui donne la nausée.

De quoi imposer, si ce n’était déjà fait, Karine Giébel parmi les grands noms du polar à la française.

Eleanor & Park, Rainbow Rowell

Nouvelle élève au lycée, il n’y a pas que dans sa classe qu’Eleanor doit se faire une place. Dans le bus aussi, sa crinière rousse, ses habits rafistolés et ses rondeurs dérangent. Le premier matin,  énervé par son indécision, Park la fait asseoir à côté de lui. Il s’en fiche, de toute façon, il lit ses comics en écoutant les Smiths. Mais la nouvelle lit par dessus son épaule, et il se surprend à tourner les pages moins vite, pour la laisser faire. Un jour, il décide même de les lui prêter, et Eléanor rapporte ces comics chez elle comme un trésor. Chez elle, la vie n’est pas rose, et l’attention, bientôt l’amour que lui porte Park lui offre des horizons de liberté. Mais leur relation naissante est justement menacée par le climat dans lequel Eleanor doit vivre en permanence.

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Après Qui Es-Tu Alaska ?, il y a quelques jours, 2015 commence sur le blog avec une nouvelle romance adolescente. L’action, située en 1986 par l’auteur (belle année s’il en est), est absolument intemporelle et se fonde une fois de plus sur la magie d’un amour inattendu entre un garçon qui, sans être populaire, est bien intégré et plutôt bien vu dans son lycée, et une petite nouvelle, un peu boulotte et en marge des canons adolescents.

Ce que j’ai particulièrement aimé, dans Eleanor & Park, c’est la poésie que l’auteur confère à la relation de nos deux adolescents et qui décrit avec force et tendresse des émois nouveaux. Rainbow Rowell raconte chaque scène du point de vue de la jeune fille et du jeune garçon, successivement, ce qui permet une définition complète de leur histoire.

Il n’a pas levé les yeux. Il a entortillé le foulard autour de ses doigts jusqu’à soulever la main d’Eleanor.
Alors il a laissé glisser la soie et ses doigts dans la paume ouverte d’Eleanor.
Et Eleanor s’est désintégrée.

La simplicité et la pureté de leur amour se révèlent au fil des pages, et le couple naissant se soude autour d’intérêts communs.
Les deux personnages principaux ont l’immense avantage d’être aussi intéressants que curieux : en plus des comics et de la littérature, on baigne avec eux dans les mélodies des Smiths, des Who, des Beatles. L’univers que se créent Eleanor et Park devient une bulle, autour d’eux, qui les protège, d’abord le temps du trajet en bus, puis plus longtemps, à mesure que leur histoire s’officialise.

La galerie des personnages secondaires permet au roman d’explorer des champs divers : violence conjugale, immigration,  harcèlement moral, autant de champs délicats abordés finement dans l’œuvre, en plus de la difficulté pour Eleanor d’accepter son corps d’adolescente boulotte sous les yeux de Park, jusqu’à un dénouement qui, sans me satisfaire pleinement, (re)donne sourire et espoir.

Qui Es-Tu Alaska ?, John Green

Dans son lycée, Miles est un jeune garçon tranquille et, à vrai dire, sans véritables amis. Alors, quand vient le temps de rejoindre Culver Creek, le pensionnat qu’avait fréquenté son père, Miles fonde de grands espoirs sur la tournure que peut désormais prendre sans vie. Il se voit attribuer la chambre du Colonel, un garçon petit, trapu, extraverti, forte tête… tout ce que Miles n’est pas. Le Colonel le prend en main et, le surnommant le Gros, lui présente Takumi et Alaska, les deux autres membres de la bande. Alaska, aux courbes fascinantes, lunatique et mystérieuse, hypnotise Miles et lui inspire un amour dévorant. Jusqu’à l’irréparable.

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Comme un grand nombre de ses lecteurs, j’imagine, je suis venue à John Green par Nos Etoiles contraires. On retrouve dans ce roman le duo garçon/fille qui se tourne autour, et qui est l’élément phare d’une majorité de romances adolescentes, mais c’est cette fois le jeune garçon qui en est le narrateur. J’avoue préférer ce point de vue, allez savoir pourquoi.

A y réfléchir, au moment d’écrire cet article, je me demande ce qui différencie ce roman des milliers d’autres sur le même sujet. Un jeune garçon timide aime une jeune fille intéressante, en couple avec un garçon plus âgé et populaire. Soit. Pourtant, là où John Green se démarque du lot, c’est en n’épargnant ni lecteurs, ni personnages : on retrouve certes les thèmes qui constituent les préoccupations adolescentes de tout temps (la drague, l’attirance, l’alcool, la désobéissance aux règles établies), mais sans facilité, ni cliché. Le regard que Miles porte sur Alaska est très beau, s’attachant à détailler avec poésie ce qu’il aime d’elle. Mais surtout, surtout, John Green catapulte ses héros dans une situation inattendue, aussi cruelle qu’irréversible, et dans laquelle il choisit de ne guère laisser de place aux adultes. En cela, il frappe étrangement fort. On y croit, parfois moins, mais les épisodes narrés sont frappés au coin du bon sens.

Miles, par ailleurs, m’a inspiré une tendresse toute particulière. J’ai aimé son goût pour les dernières paroles des gens célèbres, et sa quête d’un Grand Peut-être, comme il nomme sa recherche d’une vie plus folle, plus intense. Alaska sera le tourbillon qu’il attendait sans y croire, et envisager une vie sans elle lui parait insurmontable.

Ma peur, la voilà, j’ai perdu quelque chose d’important que je ne peux pas retrouver alors que j’en ai besoin. C’est la peur du type qui a perdu ses lunettes et à qui l’opticien annonce qu’il n’y en a plus une seule paire dans le monde entier, qu’il devra faire sans dorénavant.

La rancoeur de Miles, et la manière dont il gère et dépasse sa colère et son chagrin font de ce roman une incursion dans un monde adolescent parfois dur, souvent ingrat, mais une jolie parenthèse, toujours pleine d’espoir.

Adolphe, Benjamin Constant

A vingt-deux ans, suivant la volonté de son père, Adolphe entreprend un voyage en Europe avant d’embrasser une carrière. Indifférent à la société des hommes qui l’entourent, il rencontre Ellénore et s’éprend d’elle. Si elle est plus âgée, il la juge pourtant être une conquête digne de lui. Mais Ellénore, qui résiste d’abord, se jette à corps perdu dans cet amour qu’elle porte aux nues et Adolphe se sent dépassé par la force des sentiments qu’il lui inspire.

Adolphe

Il est des livres qui ont une résonance toute particulière en vous, et dont chaque mot fait vibrer une corde sensible. Adolphe est de ceux-là.

L’amour que se vouent Ellénore et Adolphe lors des premiers temps de leur relation tient de l’absolu : ils ne vivent qu’au travers l’un de l’autre, ne trouvant de repos et de consolation qu’à deux.

Enfin je vous vois, je vous vois et je respire, et je vous contemple et je m’arrête, comme le fugitif qui touche au sol protecteur qui doit le garantir de la mort.

Pourtant, cet amour qui touche au sublime est gâté par l’inégale implication de chacun : si Adolphe, las du peu de liberté qui lui reste maintenant qu’il entretient une relation officielle, essaie fort maladroitement de se détacher d’Ellénore, celle-ci s’engage envers et contre tout pour retenir un homme qu’elle finit par s’aliéner.

Nos cœurs défiants et blessés ne se rencontraient plus.

Ainsi, c’est surtout la fin de l’amour que relate Adolphe, entre derniers sursauts de tendresse et animosité quasi constante, quand l’amour qui subsiste ne suffit pas pour calmer les esprits et apaiser les douleurs.

Je reprenais quelquefois avec elle le langage de l’amour, mais ces émotions et ce langage ressemblaient à ces feuilles pâles et décolorées qui, par un reste de végétation funèbre, croissent languissamment sur les branches d’un arbre déraciné.

L’histoire des deux amants vire au tragique car Adolphe, qui ne peut trouver la force d’affronter Ellénore pour la quitter, laisse s’empoisonner une situation bientôt insupportable, ce qu’elle lui reproche.

Elle pouvait s’être trompée, elle pouvait avoir donné sa vie à un homme dur et aride ; j’étais le maître de mes actions, mais je n’étais pas le maître de la forcer à souffrir, délaissée par celui pour lequel elle avait tout immolé.

Pire encore, la souffrance qui naît et demeure irrésolue entre eux ruine toute possibilité d’amélioration, et l’on voit leur couple se déliter à mesure qu’Adolphe renonce et qu’Ellénore s’entête.

Je ne saurais peindre quelles amertumes et quelles fureurs résultèrent de nos rapports ainsi compliqués. Notre vie ne fut qu’un perpétuel orage ; l’intimité perdit tous ses charmes, et l’amour toute sa douceur ; il n’y eut plus même entre nous ces retours passagers qui semblent guérir pour quelques instants d’incurables blessures. La vérité se fit jour de toutes parts, et j’empruntai, pour me faire entendre, les expressions les plus dures et les plus impitoyables. Je ne m’arrêtais que lorsque je voyais Ellénore dans les larmes, et ses larmes mêmes n’étaient qu’une lave brûlante qui, tombant goutte à goutte sur mon cœur, m’arrachait des cris, sans pouvoir m’arracher un désaveu.

Adolphe se révèle être un tableau amer de la pitoyable lâcheté de son personnage éponyme. L’amour d’Adolphe, qu’il croit véritable, évolue en un amour-propre malsain : ce n’est plus tant Ellénore qu’il adore que l’image de lui qu’elle lui renvoie. Lorsqu’il la perd, ce n’est pas elle qu’il pleure, mais le fait de ne plus exister au monde pour personne. Toutefois, loin d’inspirer l’antipathie, le couple d’amants malheureux ne fait que rappeler les tourments de la passion amoureuse ramenée là à ses racines premières : en latin, le verbe patior, duquel vient le mot passion, signifie souffrir. Passion rime alors avec destruction.

En passant

Rencontre avec Lydie Salvayre, Goncourt 2014

Le mercredi 5 novembre dernier était décerné le prix Goncourt. Après Pierre Lemaître en 2013 pour Au Revoir là-haut, 2014 est l’année de Lydie Salvayre pour Pas Pleurer. Lydie Salvayre rejoint ainsi de grands noms de la littérature française : Romain Gary, Simone de Beauvoir, Julien Gracq, André Malraux pour ne citer qu’eux.

paspleurercouvertureSi les occasions se font rares de pouvoir se faire dédicacer La Condition humaine ou de discuter avec Simone de Beauvoir de ses Mandarins, j’ai eu la chance hier soir de rencontrer Lydie Salvayre et de passer des heures charmantes en sa compagnie !

Avant même de savoir que Lydie Salvayre ferait partie du dernier carré de la sélection du jury du Goncourt,  mes libraires chéries de L’Autre Monde l’avaient ajoutée à leur planning de rencontres et dédicaces.

Sans titre

Dès le 5 novembre, à l’annonce de l’attribution du Goncourt à Lydie Salvayre, le doute s’emparait de nous, fidèles de la première heure de L’Autre Monde : la lauréate, recherchée par toutes les émissions radiophoniques et télévisées possibles et imaginables, maintiendrait-elle sa venue à Avallon, petite ville de l’Yonne, sept mille habitants au compteur ? Le suspense était total !
Carole et Evelyne, nos deux libraires, nous ont bientôt confirmé la grande nouvelle : elles allaient bien recevoir Lydie Salvayre !

Merci à tous ceux qui ont croisé les doigts, ceux qui ont croisé les coussinets  et ceux qui ont allumé des cierges. Rendez-vous dans une semaine pour un bel évènement avec une belle romancière.

Mais la renommée du Goncourt introduisait une nouvelle problématique : comment accueillir dignement et l’auteur, et la foule de lecteurs et/ou de curieux ?
C’est finalement à la salle des Maréchaux de la mairie qu’a eu lieu hier vendredi 14 novembre la rencontre avec Lydie Salvayre.

Pour la peine, j’avais troqué mes stylos rouges et ma collection de craies et endossé mon habit de bénévole pour donner un coup de main afin de canaliser la foule en délire.

Retouchée avec Lumia Selfie

Pour l’occasion, la librairie avait fait le plein : de nombreux exemplaires de Pas Pleurer, aux éditions du Seuil, et de ses précédents romans en poche aux éditions Points étaient disponibles à la vente, en vue de la dédicace qui ouvrait la rencontre et devait aussi la clôturer.

WP_20141114_003 1 WP_20141114_005 1 WP_20141114_011La salle de la mairie se trouve vite comble, ce que sait apprécier M. le maire qui le remarque dans son discours, et se montre tout ouïe pour écouter Lydie Salvayre parler de Pas Pleurer.

10384223_1552878321622099_1083596098418244491_nAnimée par Evelyne et Yannick Petit, présentateur de l’émission littéraire Wagon-Livres sur la radio locale Radyonne, la discussion s’ouvre sur les remerciements d’Evelyne qui sait gré à Lydie Salvayre de respecter ses engagements en venant à Avallon comme cela était prévu depuis si longtemps !

On entre ensuite rapidement dans le vif du sujet : interrogée sur le titre de son roman, Lydie Salvayre explique que « pas pleurer » est une expression utilisée par la poétesse russe Marina Tsvetaïeva, qui écrit lors de son douloureux exil à Boris Pasternak pour lui confier que sa Russie lui manque, puis utilise ces mots, « pas pleurer« , pour ne pas se lamenter sur son sort. Lydie Salvayre, qui déteste en littérature le sentimentalisme larmoyant, raconte comment ces mots lui ont évoqué sa mère et font de ce titre une vraie bannière.

WP_20141114_030 1Lydie Salvayre s’attarde ensuite longuement sur l’importance de la voix de Bernanos au sein de son roman, qui accompagne celle de Montsé, sa mère, et plus précisément sur le texte terrible Les Grands Cimetières sous la lune, pamphlet contre les Nationaux et l’Eglise catholique espagnole. Les voix de Bernanos et de Montsé font donc entendre deux récits de la guerre d’Espagne dans Pas Pleurer, Montsé découvrant comment elle, qui n’a rien vécu, ne sait rien du monde, peut parler, désirer, aimer et ressentir du plaisir, tant personnel que collectif.

Dans un sourire, l’auteur ajoute qu’elle espérait secrètement faire naître chez ses lecteurs une réflexion et une méditation sur le fanatisme religieux et les partis politiques qui se décorent de l’adjectif national…

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Évoquant son écriture, Lydie Salvayre revient sur la création du fragnol, cette langue malhabile et incorrecte parlée par les émigrés espagnols et dont elle avait honte, petite, avant de trouver en vieillissant qu’elle rendait la langue française plus drôle et poétique. Ainsi, elle le demande : la langue doit-elle rester pure, close, fermée, immuable, ou s’ouvrir aux langues étrangères pour rester vivante ? Lydie Salvayre nous raconte ensuite quelques erreurs de langue amusantes qu’elle entendait dans la bouche de sa mère, créant une vraie « langue maternelle« .

A la question de savoir pourquoi ses parents ne sont pas dans le roman désignés par des termes tels que papa et maman, Lydie Salvayre avoue une ruse romanesque, qui lui permet de faire de sa mère un personnage de roman, la faisant passer de maman à Montsé. Si sa mère n’est plus de ce monde pour partager avec elle la joie d’avoir reçu le Goncourt, Lydie Salvayre, reprenant les mots d’Eric Chevillard sur son blog, explique que l’au-delà prolonge pour les non croyants l’existence des morts pour ceux qui les ont aimés. Ainsi, son livre, désormais couronné par le Goncourt, permettra-t-il à Montsé de ne jamais être oubliée…

Après les questions du public, d’abord timide, la soirée s’achève par les mots, très touchants, d’un membre de l’association icaunaise Mémoire et Histoire des Républicains espagnols, qui avait par ailleurs installé dans la salle une exposition temporaire.

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C’est en rappelant le mot d’ordre des libertaires que Lydie Salvayre termine son intervention :

A l’impossible je suis tenu, pour qu’un peu de possible advienne.

Elle se prête ensuite au jeu des signatures pendant un long moment, et prend le temps d’un mot avec chaque lecteur.

WP_20141114_037 1 WP_20141114_041 1 WP_20141114_044 1On aurait pu s’en tenir là, si Carole et Evelyne ne nous avaient proposé, à Khadie et moi, de nous joindre à elles pour dîner. Et c’est ainsi qu’un soir de novembre 2014, je me retrouve au Vaudésir, la meilleure table avallonnaise, pour dîner avec mes deux libraires chéries, Lydie Salvayre, Marie, son attachée de presse au Seuil, et Khadie.

10730768_10152788000826544_4136100015820168509_nMes aïeux, quelle soirée ! Autour de deux bouteilles d’Epineuil, d’un velouté de châtaignes et d’un bon boeuf bourguignon, la soirée se prolonge et nous permet de parler de Volodine et sa maman dijonnaise, des mérites comparés de nos assiettes, des prénoms castillans ou catalans de Pas Pleurer, et de notre belle Bourgogne.

Merci à mes douces libraires de m’avoir associée à cette soirée exceptionnelle, et au plaisir d’accrocher à nouveau mon badge L’Autre Monde ! A venir, sur le blog, la lecture commune entre Khadie et moi d’Hymne, un Salvayre visiblement très rock !

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